OK OK. On a vu la grille Blues de 12 mesures, sur quels degrés sont construits les accords, et comment la transposer dans toutes les tonalités. Ça nous fait une excellente première progression harmonique à décortiquer. On va retrouver des progressions harmoniques à peu près partout. Parfois on changera de tonalité dans un même morceau – ce qu’on appelle une modulation – et parfois, on ne sera pas dans une tonalité Majeure, mais mineure. Mais avant de voir comment ça se passe les progressions harmoniques dans les tonalités mineures, on va avoir besoin de définir un nouveau bidule : les cadences.
Les cadences, WTF ?
Reprenons notre grille Blues. Pour les besoins de la démonstration, on va jouer en Do
La Grille Blues, en Do | |||
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C | F | C | C |
F | F | C | C |
G | F | C | G |
Quand on la joue en boucle, on entend, entre le dernier accord (G) et le premier accord (C) qu’il y a quelque chose de conclusif.
Dit autrement : si on s’arrête sur le dernier accord (G), on sent qu’on reste suspendu. Il y a de la tension.
Et on peut résoudre cette tension en jouant le premier accord (C) – juste cet accord, hein, sans repartir sur une grille. Là ça sonne « fini ». Il y a eu une tension, puis une détente. Et une fois sur le Do, on est stable, on est bien installé dans cette tonalité.
Et ben c’est ça une cadence. Un peu comme un genre de ponctuation harmonique.
Et en l’occurrence, celle là est la plus importante de toute la musique occidentale des derniers siècles. La plus fondatrice de toute notre harmonie tonale, c’est à dire avec des tonalités, et des modulations pour passer de l’une à l’autre. (L’autre possibilité c’est l’harmonie modale, mais bref.)
Elle s’appelle historiquement une cadence parfaite (en classique quoi), et en Jazz et autres musiques modernes, on parle de « 5-1 », ou « V-I ». Tu verra, il y a plein d’autres petits noms rigolos comme ça.
Décortiquons un peu : regardons ce qui se passe en terme de mouvement des notes entre les deux accords. C’est ce qu’on appelle les voix. On ne va pas trop creuser, mais c’est important à mon avis de connaître le principe, et ça nous aidera à comprendre d’autres trucs.
Disons que c’est pas mal de se représenter les notes de chaque accord comme jouées par autant d’instruments, qui auront chacun leur ligne mélodique (leur voix) – au lieu d’avoir des accords comme des paquets de notes qui succèdent à des paquets de notes. Après ça peut être un choix hein, mais là on va faire un peu attention à la conduite de nos voix.
Comme il y a un principe de tension/ détente entre le V et le I, on observe comment chaque note est attirée par une autre. On parle d’ailleurs de résolution d’accord : le V est résolu par le I.
Ça peut paraître abstrait et arbitraire, mais EN FAIT, en écoutant tranquillement et sans à-priori, on se rend compte que l’oreille (le cerveau…) fait sa propre cuisine et associe les notes entre-elles. C’est encore une fois un bon gros mix de propriétés physiques et de phénomènes culturels…
Quelques exemples de réalisation de cette cadence « V-I » en Do :
1. Avec des triades ultra de base. Les mouvements des notes sont parallèles entre les deux accords. Ça fait le job tension/ détente, ça fait le job conclusif, ça installe bien en Do Majeur, mais, comme on est là pour chipoter : on n’a pas une sensation claire des mouvements des voix.
2. G en
triade de base (« état fondamental » pour les
connaisseurs), C en deuxième renversement (pas de panique: c’est
une triade de C, mais on commence par la note sol, à la basse)
Là on n’a plus de mouvement de basse (sol → sol), c’est moins
appuyé en terme de conclusion. Mais on a un truc qui se dessine avec
les notes aiguës : le fait qu’il y ait des petits intervalles
entre les notes aiguës des deux accords fait qu’elle semblent se
déplacer plus naturellement, qu’elles sont « attirées »
3. G en
deuxième renversement (ré à la basse) → C en premier
renversement (mi à la basse)
Il n’y a plus que des mouvements
courts entre les notes des deux accords :
ré → mi (un ton)
sol → sol (pas de mouvement du tout)
si → do (un demi-ton)
On n’a pas le gros mouvement [sol → do] à la basse, on pourrait le faire, dans un registre plus grave avec un autre instru (ou avec la main gauche du piano) (d’où l’intérêt de la clé de Fa) (Mais je voulais pas tout envoyer d’un coup…)
On peut remarquer aussi que ce mouvement dans les aigus [si → do] est très significatif.
4. Le mouvement très significatif dans les aigus, et le gros mouvement de basse.
Hop, là c’est bien conclusif. Et avec juste le strict minimum.
Et oui c’est ça les champions, une fois qu’on a pigé le
principe, on n’est plus obligé de mettre toutes les notes, car en
fait elles sont sous-entendues, et l’oreille a tendance à reconstituer
les accords complets toute seule.
Concentrons nous sur ce mouvement dans les aigus :
la tierce du V (si) se résout sur la fondamentale du I (do)
il n’y a qu’un demi-ton entre les deux.
Quand, dans une cadence parfaite, ce mouvement n’est pas réalisé clairement, on a tendance à le chercher, ou à l’entendre quand même ! Genre dans l’exemple #1 : on n’a pas de do aigu, mais on chercherait presque à l’entendre quand même, alors qu’on n’a qu’un do grave.
Quand on veut imiter une fin de symphonie, on fait des grands mouvements de bras comme si on était tout un ensemble de violons et on chante ces deux notes-là avec une voix saturée dans les aigus ! (Et si on fait pas ça alors l’autre option c’est de chanter le mouvement de basse LOL)
Cette tierce du V, c’est la 7ème note de la gamme, et elle a un petit nom en analyse harmonique :
c’est la NOTE SENSIBLE
(à ne pas confondre avec la blue note, c’est autre chose)
Elle est dite sensible parce qu’elle est très instable, elle amène une grosse tension, qui cherche à se résoudre sur la fondamentale de l’accord du I, toute proche à un demi-ton, et qui elle au contraire est la note la plus stable de toute la gamme.
Quand on y ajoute le « gros » mouvement de basse, on a le truc le plus conclusif qu’on puisse avoir, la cadence parfaite quoi !
C’est important d’entendre et de piger le rôle de cette note sensible pour écrire des jolies cadences V-I, bien maîtrisées et tout, et aussi pour comprendre, très bientôt, comment ça se passe les cadences mineures !
Voilà ce que c’est la cadence parfaite, le « 5-1 » comme disent les jazzouilles. Bon les deux termes ne sont pas parfaitement équivalents, mais je cois que c’est important de situer ce truc historiquement, avec son appellation classique. Ces gros snobs bourgeois du classique ne l’appellent plus « parfaite » quand on utilise d’autres renversements (comme j’ai fait). Mais on s'en fout. Les jazzouilles et autres modernes affiliés sont moins pointilleux sur les renversements, et donc on parlera de « 5-1 », et puis même de « 2-5-1 »…
En résumé : un principe de tension/détente, avec une résolution sur le I qui affirme la tonalité.
On se servira beaucoup de cette cadence « 5-1 » pour changer de tonalité – pour moduler.
Il y a d’autres types de cadences, construites sur d’autres degrés. Quelques unes, pas tant que ça. On les abordera plus tard, car la suite c’est de piger ce qui se passe dans une cadence parfaite mineure…
Yeah man.
Je vais me faire un café.
leçon suivante : Le V-I mineur et le mode mineur harmonique