Loriol

(english version here)

23 avril 2024

Loriol : the cassette and its box

Écoute et téléchargement :
https://johannbourquenez.com/faircamp/johann-bourquenez-loriol

Commander la cassette :
https://ko-fi.com/s/8473028f56

Présentation

Loriol est le premier album de piano solo de Johann Bourquenez, après quelques EPs plus courts sortis durant les 10 dernières années. Il regroupe 7 morceaux, qui varient entre improvisations mélodiques, dissonances, contrepoints polyrythmiques et drones acoustiques utilisant les résonances naturelles du piano. L'album de 50 minutes est publié le 23 avril 2024, en version cassette, tirée à 100 exemplaires, ainsi qu'en version numérique, disponible au streaming et au téléchargement, gratuitement, sur FairCamp.

Johann Bourquenez, qui s'est fait connaître internationalement avec le trio minimaliste post-jazz Plaistow (2007-2017), propose un album éclectique, qu'il a enregistré et mixé lui-même entre Genève et Loriol, petite ville française de la Drôme où il a vécu quelques années. La musique est plus intime, et offre une synthèse de ses recherches et de ses nouvelles directions au piano.

Liner Notes

C’est mon premier album de piano solo. Jusque là j’ai sorti quelques EP de quelques titres, qui ont toujours été expérimentaux, tant dans la musique que dans la manière de les faire. Là j’ai choisi un format plus long, et j’ai pu réfléchir à une progression, à un ensemble cohérent qui prend le temps.

Loriol, de son nom complet Loriol-sur-Drôme, c’est un petit bled de la vallée du Rhône d’environ 7000 habitants, juste à côté de la confluence entre la rivière et le fleuve. C’est plutôt post-industriel, agricole, pendulaire, il ne s'y passe pas grand chose et ce n’est pas bien riche. Je me suis retrouvé là après deux ans passés à Marseille, après être parti de Genève en 2017. Avec Déborah, ma compagne, on voulait vivre autre chose que la grande ville, et il y avait une maison de famille à sortir de l’abandon, et une grand-mère seule dont il fallait s’occuper.

J’y ai cultivé un jardin partagé pendant deux saisons (avec un certain succès) et milité pour le vélo (sans aucun succès). J'ai enregistré le groupe de rock des copains, Pixyde, et je leur ai fait le son pour quelques concerts. J'ai même fait quelques concerts à la guitare et au chant, en duo avec Ghislain Courtial, ébéniste. On a traversé l'Ardèche dans son camion plusieurs fois, c'était bien cool.

En partant de Genève, je ne savais pas trop quoi faire. J’étais un peu perdu dans le monde de la musique. J’ai rapidement mis fin aux quelques projets qui restaient après avoir arrêté l'aventure de mon trio, Plaistow, après 10 ans de concerts et de studios. Rien n’était porteur et je n’avais plus l’énergie de lancer autre chose. Je me posais beaucoup de questions sur la situation du monde, le climat, le pétrole, mes tournées en avion et mes hamburgers. Que faire qui ait du sens ?

À Marseille j’ai suivi une petite formation en permaculture, cultivé un jardin partagé et travaillé dans une épicerie associative. J’ai aussi milité pour le climat, organisé et participé à des conférences, des manifestations et des actions de désobéissance civile. Je suis devenu végétarien. J’ai vu les concerts des ami·es qui passaient et de quelques artistes locaux. J’ai fait du jogging, en passant par le port et en longeant la mer. J’ai aimé Marseille, belle, ensoleillée, dure, énervante, poétique, dramatique, impossible. Déborah a écrit un livre sur cette ville et son expérience là-bas : "À propos de Marseille".

Je n’ai pas joué de musique pendant un an et demi. J'en ai peu écouté aussi, jusqu'à écouter l'intégrale de Coltrane, dans l'ordre chronologique. (Quelle expérience ! Je n'avais jamais "compris" ses albums free de la fin. En fait c'est d'une intensité incroyable et c'est magnifique. Bref.) Je me suis mis à la guitare, sans trop y réfléchir, et j’ai appris un peu à chanter. C’était une sacrée expérience d’apprendre un instrument comme un débutant, ça m’a fait beaucoup de bien. Apprendre et jouer sans faux-semblants, sans pression, et avec moins d'égo. Accepter de ne pas savoir telle technique, tel point théorique, sans que ça soit un problème : on peut toujours apprendre des nouvelles choses en fait, hein.

À Loriol je me suis remis au piano, après pratiquement trois ans sans en jouer. Parce que j’en ai eu envie. Ça ne me manquait pas, jusqu’à ce que j’en ai envie à nouveau. Malgré mon niveau plus avancé, j’ai pu voir que j’avais plus de mal à accepter mes difficultés techniques au piano qu’à la guitare. J’ai pu en quelque sorte appliquer mon attitude de débutant à la guitare au piano, en essayant de ne pas m’embrouiller tout seul avec mon égo, mes angoisses, et de veilles habitudes. Et ça a marché, je me sens bien plus serein maintenant.

J’ai travaillé d’une autre manière. Des pièces de Debussy. Des standards de jazz. Des chansons aussi, comme à la guitare. Au début je me suis même interdit de jouer des drones et des trucs polyrythmiques, pour me laisser la place d’expérimenter, de jouer et de travailler différemment. J'ai aussi commencé à faire un peu de ménage dans mes lacunes techniques, par exemple en travaillant les gammes pentatoniques dans tous les tons. Et oui !

J’ai fait des aller-retours à Paris pour travailler avec Yael Miller en duo piano-voix. On a répété des chansons, funk, pop, quelques standards de jazz et quelques impros. C’était super. On ne s’était pas vu depuis plusieurs années et on a beaucoup échangé sur nos parcours et nos expériences avec la musique. On a enregistré quelques morceaux avec un petit piano droit, mais il faudrait faire mieux. J’ai envisagé de déménager à Paris.

Je suis allé à Berlin, aussi dans l’idée de peut-être y déménager, pour la ville, pour la scène artistique. J’y ai vu beaucoup de concerts et de lieux, j’ai réfléchi à comment faire pour venir, pour travailler le piano sur place, et pour enregistrer.

Et puis je suis passé par Genève, il y a un an, après 5 ans d’absence. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. C’était le printemps, tout le monde était dehors, et littéralement je rencontrais quelqu’un de connu tous les quarts d’heure, c’était fou. J’ai retrouvé les pianos à queue de l’AMR, le club et école de jazz ou j’ai beaucoup travaillé. C’était une drôle d’expérience de retrouver mes marques aussi vite dans cette ville. J’ai aussi accepté que c’était cool de jouer des drones et de faire sonner toutes les harmoniques possibles de ces pianos qui ne demandent que ça. J’ai revu mon maître Jedi et ingénieur du son Renaud Millet-Lacombe. J’ai compris qu’à Genève je pourrais plus facilement que n’importe où ailleurs travailler et enregistrer du piano.

Alors j’ai commencé à rassembler des idées pour un album de piano solo. Je me suis dit que le plus rapide, le plus efficace, le plus ninja, ça serait de tout faire moi-même, l’enregistrement et le mix. Et puis j'aime faire des choses que je n'ai jamais faites. Je me suis acheté des micros cheap. J’ai fait des tests. Renaud m’a prêté des bons micros, et m’a expliqué deux trois trucs. J’ai demandé à enregistrer sur le Steinway B211 de l’AMR, un dimanche ou il n’y avait pas de concert, et le comité a accepté.

piano Steinway B211, recording setup, on stage but with the piano turned towards the curtains for acoustic reasons.

 

J’ai enregistré le dimanche 25 février. Ça s’est bien passé. J’ai mixé dans la foulée, et j'ai pu envoyer un master en duplication deux semaines plus tard. J'ai reçu et écouté la cassette. Il y a du souffle, mais c'est acceptable pour un truc de piano solo. Et puis ça sortira sur mon site FairCamp, en stream et au téléchargement, gratuitement, sans multinationales enshitifiées, sans souffle et sans lecteur de cassette.

La première face rassemble 5 morceaux assez différents, avec des imbrications polyrythmiques, des mélodies simples, des dissonances moins simples, quelques improvisations modales et un joli petit drone. La deuxième face c'est deux drones de 11 minutes, très statiques, et plus sombres.

· The car at dawn est inspiré d'une photo de Geneviève Cygan, rencontrée sur le réseau social Mastodon. Disons que sa photo m'a permis de mettre un cadre à différentes idées que j'avais, et de finaliser ce morceau. Un motif mélodique se développe, en contrepoint polyrythmique à un ostinato de main gauche.

· Ce qu'il reste de la folie reprend librement un thème fredonné par un des protagonistes, à la fin du film documentaire du même nom de Joris Lachaise. Il y a un motif de basse en 5 temps, et des improvisations modales.

· Ой у лузі червона калина (Oi u luzi chervona kalyna, "Oh, dans la prairie, le viorne rouge") est un chant patriotique ukrainien. Je l'ai entendu au début de la guerre d'invasion de la Russie. Je suis allé plusieurs fois en Russie et en Ukraine. J'ai marché et joué dans ces villes et je m'y suis senti bien. Les voir bombardées m'a bouleversé. Je ne peux que me sentir solidaire de l'Ukraine. Il s'agit d'un arrangement pour piano solo que j'ai fait pour l'occasion. Слава Україні !

· Cinq prudences mélodiques est une composition de Christian Pacaud, rencontré lui aussi sur Mastodon. Il ne joue pas de piano, mais il a publié une version qu'il a faite en la programmant à l'ordinateur (du très bon travail cela dit) et a demandé si il n'y aurait pas quelqu'un qui voudrait le jouer...

· Alors nous irons à Nunavut est un assemblage de deux sources d'inspiration : Clare (toujours sur Mastodon) vit dans le Nunavut, un vaste territoire dans le nord du Canada, et publie ses photos incroyables de paysages enneigés, du soleil qui disparaît et de la vie des Inuits. Le drone qui ouvre le morceau est une sorte de petit tableau impressionniste de mes émotions face à tout ça. Puis il y a une improvisation modale sur deux accords, plus sombre, qui voudrait illustrer ce que j'ai ressenti en écoutant Corinne Morel Darleux parler de son dernier livre, "Alors nous irons chercher la beauté ailleurs".

· Drone in D, comme son nom l'indique... J'ai mis au point ce drone pour un projet collaboratif de Chelidon Frame (yep, Mastodon), qui compile les propositions de plusieurs musiciens pour produire, tous les deux mois, un drone de une heure pile. Il fallait donc lui fournir un drone en ré, sans tierce, et avec quelques éléments plus percussifs. C'est assez statique, à l'exception d'une petite ligne mélodique qui apparaît, à la main gauche puis à la main droite.

· An atonal drone study est également un long drone, très statique, qui cherche à brouiller les points d'appuis harmoniques habituels, y compris ceux qui viennent, par résonance, du piano lui-même. C'est probablement la pièce la plus sombre de cet album, mais on peut la voir comme une invitation à la catharsis, ou au moins à un certain apaisement à trouver dans la contemplation lente qui est proposée.

Sur la pochette, c'est une photo de famille des années 80 de la maison de la grand-mère, avec la voiture du grand-père garée dans la cour. Déborah m'a proposé cette image et ça m'a immédiatement semblé évident de faire la pochette avec, et d'appeler cet album "Loriol", comme une conclusion des années passées là. La grand-mère a rejoint le grand-père dans le grand infini, les maisons sont vendues, et nous partons pour Genève.

- Johann Bourquenez, avril 2024

Loriol : the web cover